Marcel Azzola par Franck Bergerot
"Chauffe Marcel !".
Combien de fois ne l’a-t-on pas entendu cette exclamation qu’eut le malheur de lancer Jacques Brel à l’intention de Marcel Azzola un jour de chauffe alors que tournaient les bandes de Vesoul ? Depuis, si l’on a oublié les circonstances ou acquit l’expression, on n’oublie jamais de l’adresser à Marcel Azzola comme pour le rappeler à son devoir : le bal, la chanson, la fête. Dieu sait s’il aime la fête pourtant, mais il aime aussi par dessus tout l’accordéon de qualité. Voilà des décennies que Marcel Azzola se tue à nous le dire. II semble qu’aujourd’hui on soit prêt à l’entendre.
Marcel Azzola
Marcel Azzola est né le 10 juillet 1927 à Ménilmontant, rue de la Chine, qui lui inspire la brillante mazurka du même nom cosignée avec son fidèle ami, le guitariste Didi Duprat, né au même endroit à quelques mois d’intervalle. Les Azzola sont originaires d’Italie et chez eux on a la fibre musicale. Comme ses deux soeurs aînées, Marcel apprend le violon, mais le père Azzola qui est maçon a pour collègue le père de l’accordéoniste Joe Rossi, bientôt vainqueur du concours international de 1936 et membre de l’orchestre anglais de Jack Hylton. L’accordéon est populaire, plaisant, festif, facteur de réussite. Marcel se laisse bientôt convaincre et entre dans l’orchestre d’accordéons des jeunes aveugles qui répète à la Salle des Fêtes de Pantin, tout à côté de chez lui.
Il prend bientôt quelques cours chez Paul Salve qu’il impatiente quelque peu. Il étudie alors à Bobigny avec Attilo Bonhommi qui l’entrainera dans la guingette où il se produit et l’autorise à tenir ” le jazz ” (la batterie) et parfois même à prendre sa place à l’accordéon. Arrive l’exode, Marcel part pour la Haute Savoie où, solfège en poche, il garde les vaches dans les prés appartenant à la famille de son nouveau professeur, et anime quelques soirées dansantes pour les maquisards.
Retour à Paris
De retour en banlieue parisienne, il découvre le jazz à travers la lecture d’une partition de “Sophisticated Lady” de Duke Ellington et, guidé par l’accordéoniste et vibraphoniste Geo DALY, il fréquente les accordéonistes swing : Gus Viseur, Charley Bazin, Tony Murena.
Dans le même temps, il prend ses premiers cours chez Médard Ferrero avec lequel il prend goût au répertoire classique, à l’étude de transcriptions d’Albeniz, De Falla, Saint Saëns, Rossini. Il commence alors à faire les cafés-concerts et les brasseries au sein d’orchestres de chambre. Au programme : variétés, musique de genre, répertoire classique.
Années 50
Autour des années 50, il accompagne également les chanteurs : Barbara, Eddie Constantine, Annie Cordy, Gilbert Bécaud, Renée Lebas, Jean Sablon, Edith Piaf, Francis Lemarque, Juliette Gréco.
Son nom n’est plus inconnu dans les couloirs des maisons de disques et par un concours de circonstances, il fait ses débuts discographiques simultanément chez Pathé Marconi et Barclay en 1953. Promotion, radiodiffusion : le public le réclame et le cycle infernal du métier commence. La fin des années 50 le voit à la tête d’un orchestre de bal qu’il conduira pendant des années à travers la France tout en honorant ses contrats pour des chanteurs comme Jacques Brel ou Yves Montand.
Il aime ce public des bals qui le ramène à ses propres origines sociales ainsi qu’à celles de son instrument.
Encore aujourd’hui il offre avec générosité la virtuosité qu’on attend de lui sur les grandes valses musette. Mais jamais il n’a cessé de repousser la démagogie à laquelle on contraint généralement les vedettes de l’accordéon. Il se veut l’ambassadeur de l’accordéon de qualité et on l’a vu déployer des trésors de diplomatie pour faire écouter à son public populaire des pièces aussi austères que hardies.
Années 60
Dès les années 60, il a enregistré le répertoire de concert que ses confrères n’osaient faire figurer sur leurs disques.
S’il fait aujourd’hui autorité dans le milieu, ce n’est pas seulement par le sérieux de sa démarche, mais aussi par son humilité, son attention aux jeunes générations, son ouverture d’esprit et sa curiosité toujours en éveil. On l’a vu ainsi nommé conseiller pédagogique national, courir les jurys, encourager les compositeurs, se féliciter du renouveau de l’accordéon diatonique et de l’accordéon jazz, parrainer les carrières de Marc Perrone et Richard Galliano, prendre lui-même des risques auprès des jazzmen, des personnalités aussi différentes que Stéphane Grappelli, Christian Escoudé et le tandem Caratini/Fosset.
Années 80
C’est dans les années 80, la décennie de tous les renouveaux pour l’accordéon, qu’il s’est associé en duo avec la pianiste Lina Bossatti. Brillante élève des classes de piano et violon au conservatoire, elle pratique encore le violon dans différentes formations de musique de chambre. Gisèle Tuveri est la fille de la chanteuse lyrique de l’Opéra de Paris, Lina Bossatti à laquelle elle emprunte son nom de scène. Elle a fréquenté les brasseries et les cafés-concerts, les fosses de théâtre (pour Jacqueline Maillan), les scènes de la chanson (Colette Renard, Bourvil), les studios de cinéma (“Mon Oncle”, “Le Juge et l’Assassin”) et les scènes de la variété avec Marcel Azzola chez qui elle a gardé délicatesse et vigoureuse énergie, profondeur du toucher et sens de la fantaisie, grâce au jeu rubato et précision rythmique exigée par les musiques syncopées.
Autant de qualités qui, outre une vieille complicité, en font la partenaire idéale de Marcel Azzola. En effet, ils ont voulu leur répertoire large et grand ouvert sur le siècle, du classicisme de la “Rhapsody in Blue” aux excentricités de la “Piécette” que Martial Solal composa pour le duo, des accents valsés de “Danseuse Etoile” de Louis Péguri aux paysages finlandais de Heikki Valpola, des climats jazzi de “Cass-Thèmes” (Pascal Groffe/Marcel Azzola) et “Endeka” (le manifeste du Onztet de Patrice Caratini) aux allures de préludes de “Jeunesse” (Jean Wiener/Marcel Azzola).
Franck BERGEROT (Jazz Magazine)