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“Ça se passe à Paris vers la fin des années soixante dix au Caveau de la Montagne, étroit club de jazz, blotti au pied d’un vieil immeuble de la montagne Sainte-Geneviève. C’est ainsi que l’histoire a débuté. Au détour d’une conversation de fin de set, entre le Chat qui Pêche et les Trois Mailletz, une phrase tombe: “On pourrait monter un duo guitare contrebasse pour jouer au Caveau …”. L’affaire prend une ampleur imprévue. Marc Fosset et moi-même devenons rapidement des habitués du lieu.
C’est à cette époque que nous rencontrons Marcel Azzola. Il vient nous entendre en compagnie des musiciens de son orchestre, Pascal Groffe et Jean-Pierre Coustillas, bandonéoniste, ami du patron et ancien de chez Tony Murena. Nous parlons jazz et accordéon, évoquons Gus Viseur, les frères Ferré, Django Reinhardt ou Didi Duprat. Il ne faut pas attendre très longtemps pour que l’idée s’impose de tenter quelque chose. Après avoir sillonné les départementales françaises, au volant de belles américaines et fait danser tout le pays, Marcel tend à revenir vers de petites formes comme les récitals qu’il donne maintenant avec la pianiste Lina Bossati. Après trois ans d’existence, notre duo cherche de nouvelles expériences. Marcel est séduit par l’idée de se frotter à une nouvelle génération de jazzmen. Nous sommes curieux, Marc et moi, d’élargir les champs de notre duo, qui plus est, avec une légende de l’accordéon.
À cela s’ajoutent des proximités, des affinités électives qui se font jour au fil des répétitions, des concerts et des discussions sur la route. Une géographie imaginaire qui envelopperait les bistrots des Puces, la musique manouche et les banlieues de la “ceinture rouge” que nous habitons, en passant par la guitare d’Henri Crolla, les noirs et blancs de Doisneau, la clarinette de Maurice Meunier ou la voix d’Arletty. Nous sommes pris dans les replis d’une mémoire incroyablement proche et immédiate. Ce sentiment diffus traverse le public de nos concerts. Toutes générations mêlées, les uns comme les autres se retrouvent dans la nouveauté familière d’une musique qui leur parle d’une histoire commune.
Ainsi avons-nous parcouru le quart de siècle qui vient de s’écouler. Nous avons enregistré deux disques, l’un en 1982, l’autre en 1986, et arpenté toutes les scènes possibles. J’ai le sentiment que jamais ce trio ne cessera de jouer. Parfois le son de l’accordéon surprend les auditeurs exigeants d’un festival de jazz aventureux, une autre fois, les admirateurs de Marcel, accourus pour assister au concert organisé par le comité des fêtes d’une ville minière du Nord, examinent le guitariste et le contrebassiste d’un air soupçonneux, leur laissant entendre l’honneur qui leur est fait de jouer avec le “patron”.
J’en reste persuadé.
Patrice Caratini