Hommages de la presse

 

Le Figaro.fr – Marcel Azzola : «Pour Jacques Brel, mon accordéon était essentiel»

 

  • Mis à jour le 22/01/2019 à 09:56

 

  • Publié le 09/10/2018 à 06:30

INTERVIEW – L’accordéoniste, décédé ce lundi à 91 ans, nous donnait une dernière interview en octobre dernier pour évoquer avec admiration le souvenir de l’incomparable chanteur belge à l’occasion du quarantième anniversaire de sa disparition.

Il a accompagné Piaf, Montand, Barbara, Gréco, Bécaud… et Brel qui l’a immortalisé dans Vesoul avec son fameux «Chauffe, Marcel!». Car c’est lui, Marcel Azzola, le fameux accordéoniste qui nous emmène, dans un crescendo endiablé, de Vierzon à Vesoul, d’Anvers à Hambourg.

Quarante ans après la disparition de Jacques Brel, le 9 octobre 1978, le musicien qui a donné aussi une note d’accordéon au thème musical du film Vincent, François, Paul et les autres, évoque pour Le Figaro le souvenir de ses enregistrements avec le Grand Jacques et de ces instants d’amitiés passés au zinc d’un rade à refaire le monde.

LE FIGARO. – Comment avez-vous rencontré Jacques Brel?

Marcel AZZOLA. – J’ai vu Jacques une première fois en 1958 lors de l’enregistrement de quelques-unes de ses chansons par Simone Langlois, qui avec Juliette Gréco aura interprété les textes de Brel quand pas grand monde croyait en lui. Je connaissais à l’époque François Rauber qui orchestrait ses mélodies. C’est lui qui des années plus tard, en 1968, me rappela pour travailler sur Vesoul et les autres titres de l’album J’arrive comme La Bière et L’Ostendaise.

Brel avait-il vraiment besoin d’un accordéoniste?

Oui, car Jacques avait une tendresse pour l’accordéon. Dans sa musique il conservait son âme de marin et l’accordéon dresse un décor portuaire, un décor d’océan, un décor lancinant. Pour lui cet instrument était essentiel. Je me souviens que l’enregistrement de La Bière, on l’a recommencé trois fois. Souvenez-vous du refrain Ça sent la bière de Londres à Berlin, Ça sent la bière dieu qu’on est bien… il voulait que les mots coulent, vous entraîne. Rauber et Brel étaient de sacrés perfectionnistes et ils avaient raison.

Qui a suggéré votre nom pour succéder à Jean Corti, l’accordéoniste historique des tournées de Brel?

Je crois que c’est justement Jean qui a parlé de moi à François Rauber. Corti était un de mes copains et il n’était pas n’importe qui pour le clan Brel. C’est lui qui avait signé les compositions, avec souvent le pianiste Gérard Jouannest, des chansons Les Vieux, MadeleineLes Toros… ça n’était pas rien.

Comment l’idée de ce fameux «Chauffe Marcel! Chauffe» vient à l’idée de Brel?

Il faut comprendre que même lors des enregistrements Jacques comme sur scène jouait à fond l’histoire de sa chanson. Vesoul c’est un crescendo. Et c’est l’accélération du débit et l’accordéon qui produit cet effet. Quand Brel me demande de chauffer, il se dit à lui-même qu’il va chauffer. C’est un travail de chef d’orchestre. Plus tard, on m’a dit qu’il avait emprunté cette idée à Gérard Rinaldi, le leader des Charlots. Cette référence prouve que l’on peut composer de grandes chansons et conserver le sens de l’humour.

Avez-vous revu Jacques Brel après Vesoul?

Oui, j’ai retravaillé avec lui pour Les Marquises, en 1977. Ici, l’accordéon est un instrument moins important qui se fond dans l’orchestration. Je dois dire que je venais aux enregistrements un peu pour Jacques même quand je n’avais à jouer. On n’était pas des amis mais nos relations étaient fraternelles. Parfois après le studio, on est parti boire des coups dans des rades. On parlait de tout de rien, du jazz, des avions, des bateaux. Et même quand on ne parlait pas, on était bien. C’était ça la magie de Jacques.

  • «Chauffe Marcel, Chauffe!», Brel chanteVesoul accompagné par l’accordéoniste Marcel Azzola
  • Version studio duVesoul de Jacques Brel avec Marcel Azzola à l’accordéon
  • La Bière de Jacques Brel, à l’accordéon Marcel Azzola
  • Un hommage de Marcel Azzola à Django Reinhardt
  • Marcel Azzola, l’accordéoniste de la musique du film de Claude SautetVincent, François, Paul et les autres composée par Philippe Sarde

 

Marcel Azzola, d’où vient l’expression «Chauffe Marcel !» ?

 

  • Publié le 22/01/2019 à 11:17

L’accordéoniste est décédé à l’âge de 91 ans, ce lundi 22 janvier. Il emporte avec lui une formule passée à la postérité. Mais connaissez-vous son histoire ? Le Figaro vous propose de la redécouvrir.

Avec la mort du célèbre accordéoniste Marcel Azzola, c’est tout une époque qui disparaît. L’odeur du tabac dans les troquets, la mélodie des pianos à bretelles aux terrasses des brasseries et puis, évidemment, les voix toujours plus lointaines de Barbara, d’Yves Montand ou encore d’Edith Piaf avec lesquels le musicien partagea sa vie musicale. Décédé à l’âge de 91 ans, le prodige de l’accordéon emporte avec lui l’histoire d’une expression: «Chauffe Marcel!», c’est-à-dire «vas-y, donne-toi à fond!».

Une expression, qui comme toute formule passée dans la légende, s’est enveloppée d’un voile de mystère. Les admirateurs du musicien vous diront sans ciller que la locution est entrée dans le langage courant en 1968 par la fameuse voix de Jacques Brel. Ce dernier, en plein enregistrement de son titre Vesoul avait en effet lancé «Chauffe Marcel!» à l’accordéoniste qui mettait le feu à sa chanson. Toutefois, et c’est l’analyse du linguiste Claude Duneton, cet adage que chacun aime maintenant à répéter depuis la disparition de Marcel Azzola, ne viendrait pas du musicien.

L’auteur s’en explique dans son excellent ouvrage La puce à l’oreille (Poche). Au début des années 1960 -peut-être 1964, hésite Claude Duneton- deux fantaisistes du nom de Dupont et Pondu font un sketch, signé Jean-Louis Winkopp. L’histoire est simple: Un soupirant chante sous la fenêtre de sa belle, accompagné par un copain qui jouait de l’accordéon. Pour aider son camarade, le musicien ponctuait sa valse de la formule «Chauffe Marcel». En ce faisant, il parodiait dans une situation cocasse le «Chauffe!» des musiciens de jazz, rappelle le linguiste qui précise «ce terme d’excitation était en effet utilisé comme un équivalent du «Blow, man, blow» dans sa version originale».

Si le sketch eut son petit succès au petit écran, ce serait toutefois grâce au groupe Les Charlots et à leur titre «Je dis n’importe quoi, je fais tout ce qu’on me dit (Chauffe Marcel)», inspiré du gag de Dupont et Pondu, que l’expression aurait fini par s’envoler et devenir courante. Jacques Brel avait-il eu vent de cette formule et décidé de l’employer pour pousser Marcel Azzola? Peut-être.

L’auteur Georges Planelles précise dans son livre Les 1001 expressions préférées des Français (L’Opportun): «Marcel Azzola lui-même indique que, dans la première prise à l’enregistrement de ‘Vesoul’, le ‘chauffe Marcel’ n’était pas dit par Brel. Mais comme ce dernier voulait que son accompagnateur produise une musique dynamique, enlevée, une volée de notes pour accompagner ses paroles, il aurait, de manière non préméditée, ajouté ces paroles qui feront alors définitivement partie de la chanson.»

Quoi qu’il en soit l’expression est passée à la postérité. Bien que désuète, elle reste unique et toujours d’actualité pour encourager celui qui veut se donner à fond!

Disparition de Marcel Azzola, l’accordéoniste de Fréhel, Piaf, Brel, Gréco, Tati, Mouloudji…

 

  • Mis à jour le 22/01/2019 à 10:48

 

DISPARITION – Il avait accompagné les grands noms de la chanson française de la fin de la guerre à aujourd’hui. Le musicien de tous les talents, petit «rital» de Ménilmontant devenu commandeur des Arts et des Lettres, s’est éteint lundi à 91 ans à Villennes-sur-Seine.

«Chauffe, Marcel chauffe!» Avec la mort de Marcel Azzola, à l’âge de 91 ans, disparaît un très grand Monsieur de l’accordéon, qui a donné en France un souffle nouveau à l’instrument en l’emmenant vers le jazz. «Son cœur a lâché» lundi matin, chez lui à Villennes-sur-Seine dans les Yvelines, a annoncé à l’AFP Lina Bossati, sa compagne de scène puis de cœur.

 

LIRE AUSSI – Marcel Azzola: «Pour Brel, j’allais à chaque séance même quand je n’avais pas à jouer» 

 

Nombreux sont ceux qui connaissent sans le savoir ce génie de l’accordéon grâce aux musiques de films de Jacques Tati et à la chanson Vesoul de Jacques Brel.Marcel Azzola est entré de plain-pied dans la légende avec son chorus d’accordéon époustouflant sur ce titre, en 1968, et le fameux «Chauffe Marcel, Chauffe!» que lui avait alors lancé, survolté, Jacques Brel pendant l’enregistrement. Outre ce morceau de bravoure, le musicien a aussi contribué à faire progresser l’accordéon d’un point de vue technique et lui a donné un souffle nouveau en «osant le jazz», selon l’expression de Philippe Krümm, responsable du magazine Accordéon Accordéonistes.

 

Ses héritiers le vénèrent: «Il a toujours été un point de mire», affirme Richard Galliano. «Marcel, c’est une figure emblématique pour ma génération», estime Francis Varis. Son jeu tout en nuances, «dans lequel on ne trouvera jamais une trace de vulgarité» dixit Francis Varis, et son phrasé «avec une dynamique très particulière, très bebop», selon Richard Galliano, forçaient l’admiration.

Né le 10 juillet 1927 dans le XXe arrondissement de Paris, de parents immigrés italiens installés à Pantin, le petit «Marcello» a été sensibilisé très tôt à la musique. Après le violon, son père, maçon et musicien amateur, l’oriente vers l’accordéon. Attilio Bonhommi, son second professeur, lui a inoculé l’amour de cet instrument. Après son premier concours en 1937, il accompagne l’année suivante au débotté la chanteuse réaliste Fréhel lors d’un radio-crochet.

Sa carrière est lancée. Depuis les années 1940, en se perfectionnant auprès de Médard Ferrero, «Il Professore», il a promené son piano à bretelles partout, de brasseries en dancings, de studios en Six Jours cycliste au Vel’d’Hiv, de tournées avec Yves Montand en aventures dans le jazz, de duos en grands orchestres. Sa culture classique, son habileté à déchiffrer, ont fait de lui dès la fin des années 1940 un accordéoniste de studio très demandé. En 1949, il participe à l’enregistrement de Sous le Ciel de Paris d’Edith Piaf. Puis vinrent Gilbert Bécaud, Barbara, Boris Vian, Mouloudji, Juliette Gréco, Francis Lemarque, Yves Montand, entre autres…

Stéphane Grappelli et Marcel Azzola jouent Les Feuilles mortes

L’accordéon de Marcel Azzola parcourt aussi la bande-son de nombreux films, comme cette petite mélodie accompagnant M. Hulot sur son solex dans Mon Oncle de Jacques Tati. Il a aussi côtoyé les rois du musette: Gus Viseur, et surtout Tony Murena. Il a également fait du bal, animé plusieurs Six Jours cyclistes au Vel’d’Hiv, un événement «people» à l’époque, suivi trois Tours de France dans la caravane…

 

Sa technique lui a aussi permis de se glisser avec aisance dans le monde du jazz, aux côtés de Stéphane Grappelli, Dany Doriz ou Toot Thielemans, et d’être un acteur du rapprochement entre jazz et musette dans les années 1980. Professeur à l’Ecole de musique d’Orsay pendant vingt ans, il a milité depuis les années 1970, avec ses collègues Joe Rossi, Joss Baselli et André Astier, pour la reconnaissance de l’accordéon. Aboutissement de cet acharnement: l’inscription de cet instrument au Conservatoire national supérieur de musique de Paris en 2002.

 

Ce musicien de grande classe se doublait d’un homme charmant, loué pour sa gentillesse et sa modestie. «Il a toujours eu du respect pour les gens», assure Philippe Krümm. Statufié au musée Grévin de 1969 à 1981, il avait refusé la Légion d’Honneur mais accepté les insignes de chevalier puis de commandeur des Arts et des Lettres. Marcel Azzola souffrait depuis très longtemps de la maladie de Dupuytren à la main droite. Le mal s’étant accentué, son activité s’était singulièrement réduite ces dernières années. Il passait l’essentiel de son temps dans la gentilhommière de Villennes-sur-Seine qu’il partageait avec Lina Bossatti, pianiste et violoniste talentueuse.