LA CROIX – Marcel Azzola, corps à corps avec l’accordéon
22/01/2019
Là-haut, sous le toit, c’est son refuge d’artiste, simple et un brin austère. Pour s’y déplacer il faut baisser légèrement la tête. Comme lorsque l’on se prépare à découvrir un autre monde. Au terme du court périple, le visiteur se laisse surprendre par la sorte de mini-fosse d’orchestre où Marcel Azzola se mesure quotidiennement à ses maîtres du passé. L’accordéon de concert, un lourd instrument aux heures déjà glorieuses, attend son heure devant un pupitre de partitions. « Je viens ici jouer les pièces difficiles. Je vérifie alors si ça peut encore fonctionner. Et il y a toujours de beaux jours ! », confie, à 78 ans, avec la prudence et l’humanité qui le caractérisent.
Venu du bal musette, entré par la grande porte dans l’univers des musiques savantes, familier des jazzmen, Marcel Azzola assure qu’il représente le « côté patchwork » de l’accordéon. Un instrument devenu roi depuis que des artistes comme lui ont décidé de prouver tous les talents du piano à bretelles de jadis. Tout juste de retour de la bergerie de Nohant où il a joué aux côtés de Marc Perrone, venu du folk, Marcel Azzola vient ensuite d’inaugurer avec un trio de jazz, fidèle depuis vingt-cinq ans (Caratini, Fosset), le festival parisien des Arènes du Jazz. Avant de repartir en duo avec la pianiste Lina Bossatti.
« J’ai une faiblesse pour le violoncelle »
C’est dans ce grenier à musiques inscrit au coeur d’un havre de verdure et de verre que le fils d’immigrés italiens rassemble tous ces univers musicaux. À la recherche de la plénitude jamais acquise, il attaque une fois encore une fugue de Bach, l’inévitable, synonyme d’équilibre, ou encore une oeuvre de Louis Vierne, musicien découvert à Troyes, il y a quelques décennies. Les mots du compositeur français mort en 1937 lui conviennent. Il n’avait eu qu’un seul but : émouvoir. « Lorsque je reprends ces oeuvres à l’accordéon, j’ai le sentiment de jouer de la musique. Les doigts aiment ces belles notes », poursuit-il.
Pourtant l’ancien prof d’accordéon au Conservatoire (à Orsay) a fait ses premières gammes au violon. Tradition familiale oblige. « Chez nous, il fallait faire de la musique, pour le plaisir. » Sur le chantier du rocher du zoo de Vincennes, Giuseppe, son père, a rencontré Joseph Colombo, cimentier et accordéoniste-compositeur. Sur un autre chantier, papa Azzola , venu de Bergame, rencontre le père de Joë Rossi, un autre virtuose à venir. Place donc à l’accordéon. Le premier était un instrument sans basses ni accompagnement. Mais le môme de Pantin n’a jamais oublié les charmes des instruments à cordes. « J’ai une faiblesse pour le violoncelle. Dès que vous pincez une corde, c’est de la musique. Vous avez le son au bout des doigts », confie-t-il.
Alors que pour jouer de l’accordéon il faut d’abord dompter la mécanique. « C’est un véritable corps-à-corps. Vous avez l’instrument sur les genoux. Il faut donc jouer comme on enlace un être cher. J’ai découvert cela peu à peu. Et quand on a compris cela, avec de la technique et la bonne manière de se servir du soufflet, on a des sensations extraordinaires, explique encore le concertiste. Ceux qui jouent loin de leur instrument m’inquiètent toujours. Le son est au bout de cette épreuve de force. »
C’est ce qui explique que l’instrument, réputé difficile, a dû longtemps faire ses preuves. Dans une édition du célèbre Larousse, au début du siècle dernier, on pouvait lire cette définition, meurtrière : « Accordéon : instrument totalement impropre à faire de la musique et ne pouvant se marier avec aucun autre. » Avec d’autres, Marcel Azzola a démontré le contraire. « Si je suis confiant pour l’avenir, grâce à une littérature musicale abondante et un meilleur enseignement, il y a encore beaucoup à faire. » Marcel Azzola a su se faire peu à peu un nom, des guinguettes de Bobigny de sa jeunesse aux studios d’enregistrement où il s’est illustré aux côtés de nombreuses vedettes, de Brel (le fameux « Chauffe Marcel » de Vesoul, c’est lui) à Bécaud ou encore en jouant pour le réalisateur Jacques Tati (Play Time, Mon oncle, Traffic).
« On m’en a voulu de ne plus jouer de la musique de danse »
« J’ai gagné ma vie comme cela. » Avec juste une semaine de battement, raconte-t-il, à ses débuts. Son père l’embauche alors sur un chantier comme manoeuvre. Il a gardé cette conscience d’ouvrier. « J’ai eu très vite de la chance. J’ai toujours été, sans apparaître orgueilleux, dans le peloton de tête. » À l’armée, on lui demande de jouer de… la clarinette, puis du saxo ténor. Un calvaire. Il abandonne au bout de quinze jours et se contente de jouer de l’accordéon pour les officiers. La même année, il rate le podium de la Coupe mondiale d’accordéon, à Lausanne. C’est Yvette Horner, la gamine de Tarbes, qui l’emporte. « C’était mieux comme cela. Sinon j’aurai été tenté de devenir un petit prétentieux. J’ai longtemps été marqué par le côté bastringue. On m’en a voulu de ne plus jouer de la musique de danse », reconnaît-il.
Il parle de ces années d’enregistrements (réunis dans un coffret ULM/Universal) en tous genres, qu’il compare à « ces rois de l’accordéon sponsorisés par les potages Royco ». Mais contrairement à d’autres, Marcel Azzola n’a jamais pensé abandonner l’accordéon. Ce qui lui permit, un temps, d’avoir les honneurs du Musée Grévin. Seul un problème de santé a failli interrompre brutalement sa carrière. Pendant deux ans, il doit se contenter de regarder la collection d’instruments qu’il a rassemblée, sans pouvoir y toucher. Des plus anciens, de beaux objets propres à la musique de salon, des accordéons romantiques des années 1830, aux modèles contemporains, nées à l’heure industrielle. Et puis, un appel d’un ami russe le persuade de repartir sur les routes. « On m’a tendu la main. Je n’oublierai jamais. » Et il parle de nouveau d’autres musiciens. La musique selon Azzola ne compte pas de fausses notes.
Une aventure commencée à l’âge de 11 ans
Marcel Jean Azzola est né le 10 juillet 1927. Giuseppe, son père, lui transmet très tôt sa fibre musicale. Marcel est mis au violon avant de se consacrer à l’accordéon. À 8 ans, en région parisienne, il devient l’accordéoniste d’un orchestre composé de musiciens aveugles. Il devient professionnel à 11 ans. Son professeur, Attilio Bonhommi, l’invite à monter sur scène. Il travaille également avec Médard Ferrero des morceaux classiques dont il devient un interprète réputé. Il joue un temps dans des orchestres de bal et accompagne de nombreux chanteurs en studio et sur scène (Brel, Yves Montand notamment lors de sa tournée en URSS, Bécaud). Il enregistre les succès du catalogue pour les maisons de disques. Virtuose classique, il pratique également le jazz après avoir entendu Sidney Bechet. Il a joué notamment en duo avec Stéphane Grapelli. Il rompt définitivement avec les orchestres de danse en 1982. Il a enregistré également une centaine de musiques de films (dont Le Juge et l’Assassin de Tavernier). Enseignant, il accompagne l’entrée de l’accordéon au Conservatoire national de musique de Paris, il y a trois ans. Il a reçu de nombreux prix.
Robert Migliorini
Mort de Marcel Azzola, le « Monsieur accordéon »
afp , le 22/01/2019 à 1h39
Mis à jour le 22/01/2019 à 7h41
Marcel Azzola est décédé lundi 21 janvier. Il était entré de plain pied dans la légende avec son chorus d’accordéon époustouflant sur ce titre, en 1968, et le fameux « Chauffe Marcel, chauffe ! »que lui avait alors lancé, survolté, Jacques Brel pendant l’enregistrement.
« Chauffe, Marcel chauffe! » Avec la mort de Marcel Azzola, à l’âge de 91 ans, disparaît un très grand monsieur de l’accordéon, qui a donné en France un souffle nouveau à l’instrument en l’emmenant vers le jazz.
« Son cœur a lâché » lundi matin, chez lui à Villennes-sur-Seine dans les Yvelines, a annoncé à l’AFP Lina Bossati, sa compagne de scène puis de cœur.
Nombreux sont ceux qui connaissent sans le savoir ce génie de l’accordéon grâce aux musiques de films de Jacques Tati et à la chanson « Vesoul » de Jacques Brel.
Marcel Azzola est entré de plain pied dans la légende avec son chorus d’accordéon époustouflant sur ce titre, en 1968, et le fameux « Chauffe Marcel, chauffe ! » que lui avait alors lancé, survolté, Jacques Brel pendant l’enregistrement.
Outre ce morceau de bravoure, le musicien a aussi contribué à faire progresser l’accordéon d’un point de vue technique et lui a donné un souffle nouveau en « osant le jazz », selon l’expression de Philippe Krümm, responsable du magazine Accordéon Accordéonistes.
Ses héritiers le vénèrent: « Il a toujours été un point de mire », affirme Richard Galliano. « Marcel, c’est une figure emblématique pour ma génération », estime Francis Varis.
Son jeu tout en nuances, « dans lequel on ne trouvera jamais une trace de vulgarité » (dixit Francis Varis) et son phrasé « avec une dynamique très particulière, très bebop » (Richard Galliano) forçaient l’admiration.
Né le 10 juillet 1927 dans le XXe arrondissement de Paris, de parents immigrés italiens installés à Pantin, le petit « Marcello » a été sensibilisé très tôt à la musique.
Après le violon, son père, maçon et musicien amateur, l’oriente vers l’accordéon. Attilio Bonhommi, son second professeur, lui a inoculé l’amour de cet instrument. Après son premier concours en 1937, il accompagne l’année suivante au débotté la chanteuse réaliste Fréhel lors d’un radio-crochet.
Un accordéoniste de studio très demandé
Sa carrière est lancée. Depuis les années quarante, en se perfectionnant auprès de Médard Ferrero, « Il Professore », il a promené son piano à bretelles partout, de brasseries en dancings, de studios en Six Jours cycliste au Vel’ d’Hiv, de tournées avec Yves Montand en aventures dans le jazz, de duos en grands orchestres.
Sa culture classique, son habileté à déchiffrer, ont fait de lui dès la fin des années 40 un accordéoniste de studio très demandé. En 1949, il participe à l’enregistrement de « Sous le ciel de Paris » d’Edith Piaf.
Puis vinrent Gilbert Bécaud, Barbara, Boris Vian, Mouloudji, Juliette Gréco, Francis Lemarque, Yves Montand, entre autres…
L’accordéon de Marcel Azzola parcourt aussi la bande-son de nombreux films, comme cette petite mélodie accompagnant M. Hulot sur son solex dans « Mon Oncle » de Jacques Tati.
Il a aussi côtoyé les rois du musette : Gus Viseur, et surtout Tony Murena. Il a également fait du bal, animé plusieurs Six Jours cycliste au Vel’ d’Hiv, un événement « people » à l’époque, suivi trois Tours de France dans la caravane…
« Une classe folle »
Sa technique lui a aussi permis de se glisser avec aisance dans le monde du jazz, aux côtés de Stéphane Grappelli, Dany Doriz ou Toot Thielemans, et d’être un acteur du rapprochement entre jazz et musette dans les années 80.
Professeur à l’Ecole de musique d’Orsay pendant vingt ans, il a milité depuis les années 70, avec ses collègues Joe Rossi, Joss Baselli et André Astier, pour la reconnaissance de l’accordéon. Aboutissement de cet acharnement: l’inscription de cet instrument au CNSM (Conseil national supérieur de musique) de Paris en 2002.
Ce musicien de grande classe se doublait d’un homme charmant, loué pour sa gentillesse et sa modestie. « Il a toujours eu du respect pour les gens », assure Philippe Krümm.
Statufié au Musée Grévin de 1969 à 1981, proposé pour la Légion d’Honneur qu’il avait refusée, Marcel Azzola souffrait depuis très longtemps de la maladie de Dupuytren à la main droite.
Le mal s’étant accentué, son activité s’était singulièrement réduite ces dernières années. Il passait l’essentiel de son temps dans la gentilhommière de Villennes-sur-Seine qu’il partageait avec Lina Bossatti, pianiste et violoniste talentueuse.
afp