Chauffe Marcel… Azzola, un accordéoniste au paradis
22/01/2019
“Chauffe, Marcel chauffe !” Avec la mort de Marcel Azzola, à l’âge de 91 ans, disparaît un très grand “Monsieur” de l’accordéon, qui a donné en France un souffle nouveau à l’instrument en l’emmenant vers le jazz. Dr.Jazz l’avait rencontré en 2000 à La Réunion…
“Son coeur a laché” lundi dernier, au matin, chez lui à Villennes-sur-Seine dans les Yvelines, selon Lina Bossati, sa compagne de scène puis de coeur. Nombreux sont ceux qui connaissent sans le savoir ce génie de l’accordéon grâce aux musiques de films de Jacques Tati et à la chanson “Vesoul” de Jacques Brel.
Marcel Azzola est entré de plain pied dans la légende avec son chorus d’accordéon époustouflant sur ce titre, en 1968, et le fameux “Chauffe Marcel, Chauffe !” que lui avait alors lancé, survolté, Jacques Brel pendant l’enregistrement. Outre ce morceau de bravoure, le musicien a aussi contribué à faire progresser l’accordéon d’un point de vue technique et lui a donné un souffle nouveau en “osant le jazz”, selon l’expression de Philippe Krümm, responsable du magazine “Accordéon Accordéonistes”.
Ses héritiers le vénèrent : “Il a toujours été un point de mire”, affirme Richard Galliano. “Marcel, c’est une figure emblématique pour ma génération”, estime Francis Varis. Son jeu tout en nuances, “dans lequel on ne trouvera jamais une trace de vulgarité” (dixit Francis Varis) et son phrasé “avec une dynamique très particulière, très bebop” (Richard Galliano) forçaient l’admiration.
Né le 10 juillet 1927 dans le XXe arrondissement de Paris, de parents immigrés italiens installés à Pantin, le petit “Marcello” a été sensibilisé très tôt à la musique.
Avec Fréhel et Piaf
Après le violon, son père, maçon et musicien amateur, l’oriente vers l’accordéon. Attilio Bonhommi, son second professeur, lui a inoculé l’amour de cet instrument. Après son premier concours en 1937, il accompagne l’année suivante au débotté la chanteuse réaliste Fréhel lors d’un radio-crochet. Sa carrière est lancée. Depuis les années quarante, en se perfectionnant auprès de Médard Ferrero, “Il Professore”, il a promené son piano à bretelles partout, de brasseries en dancings, de studios en Six Jours cycliste au Vel’d’Hiv, de tournées avec Yves Montand en aventures dans le jazz, de duos en grands orchestres.
Sa culture classique, son habileté à déchiffrer, ont fait de lui dès la fin des années 40 un accordéoniste de studio très demandé. En 1949, il participe à l’enregistrement de “Sous le Ciel de Paris” d’Edith Piaf. Puis vinrent Gilbert Bécaud, Barbara, Boris Vian, Mouloudji, Juliette Gréco, Francis Lemarque, Yves Montand, entre autres… L’accordéon de Marcel Azzola parcourt aussi la bande-son de nombreux films, comme cette petite mélodie accompagnant M. Hulot sur son solex dans “Mon Oncle” de Jacques Tati. Il a aussi côtoyé les rois du musette: Gus Viseur, et surtout Tony Murena. Il a également fait du bal, animé plusieurs Six Jours cycliste au Vel’d’Hiv, un événement “people” à l’époque, suivi trois Tours de France dans la caravane…
“Une classe folle”
Sa technique lui a aussi permis de se glisser avec aisance dans le monde du jazz, aux côtés de Stéphane Grappelli, Dany Doriz ou Toot Thielemans, et d’être un acteur du rapprochement entre jazz et musette dans les années 80. Professeur à l’Ecole de musique d’Orsay pendant vingt ans, il a milité depuis les années 70, avec ses collègues Joe Rossi, Joss Baselli et André Astier, pour la reconnaissance de l’accordéon. Aboutissement de cet acharnement: l’inscription de cet instrument au CNSM (Conseil national supérieur de musique) de Paris en 2002.
Ce musicien de grande classe se doublait d’un homme charmant, loué pour sa gentillesse et sa modestie. “Il a toujours eu du respect pour les gens”, assure Philippe Krümm. Statufié au Musée Grévin de 1969 à 1981, proposé pour la Légion d’Honneur qu’il avait refusée, Marcel Azzola souffrait depuis très longtemps de la Maladie de Dupuytren à la main droite. Le mal s’étant accentué, son activité s’était singulièrement réduite ces dernières années. Il passait l’essentiel de son temps dans la gentilhommière de Villennes-sur-Seine qu’il partageait avec Lina Bossatti, pianiste et violoniste talentueuse.
Marcel au Tampon et à Saint-Gilles en septembre 2001
Dr. Jazz avait dialogué avec Marcel Azzola, alors âgé de 74 ans, à l’occasion de sa venue à La Réunion en 1997. Une brève interview pour poser le personnage rencontré “au bord de la piscine d’un grand hôtel de Saint-Gilles”.
Dr.Jazz – Vous semblez heureux de vous retrouver à La Réunion… Marcel Azzola – Je découvre une autre île… La première fois que j’étais venu ici… il y a bien longtemps, c’était avec Juliette Gréco. Nous logions dans un hôtel de Saint-Denis d’où on ne voyait pas la mer ! Par contre j’ai gardé un merveilleux souvenir d’un grand théâtre en plein air dans la montagne… Je crois bien que nous allons y jouer, c’est formidable.
– Vous avez accompagné tant de grands artistes de variété au cours de votre carrière. Lesquels vous ont le plus marqué ? – Barbara, Juliette, Cora Vaucaire… J’aime les diseuses, les chanteuses qui interprètent des textes intelligents sur de belles musiques. Et puis il y a Brel. Nous étions très amis. C’était un être exceptionnel curieux de tout, voulant incarner tous les héros, pilote, navigateur… J’appréciais sa philosophie de la vie. – Vous n’êtes pas seulement instrumentiste, vous composez également… – Je ne me prends pas pour un compositeur. J’écris beaucoup pour les jeunes accordéonistes. J’ai enseigné pendant 20 ans à l’école d’Orsay. Je voulais que l’instrument soit reconnu par les instances nationales. J’y suis arrivé, j’en suis fier. Depuis 1987, il existe un diplôme d’Etat pour les profs d’accordéon ! – Vous avez beaucoup voyagé… – Enormément. Mais des séjours trop courts dans de grands hôtels, notamment en Amérique et au Japon. Je me souviens d’un concert à New York pour les 100 ans du Metropolitan Opera. J’accompagnais Yves Montand, dans les coulisses le grand violoniste infirme Itzak Pelman jouait “A Paris” dans son fauteuil roulant…– Quelle est votre passion en dehors de la musique ? – Je collectionne les accordéons, les bandonéons, les boîte à musique… J’en possède plusieurs centaines. Le premier accordéon de ma collection m’a été offert par Pérette Souplex, la fille de Raymond (Ndlr : célèbre chansonnier et animateur radio des années 50), il date de 1870 !– Qu’est-ce que vous aimez dans le jazz ? – Pouvoir improviser sur de belles mélodies. Ce qui est merveilleux dans le jazz c’est le mélange de l’écriture et de l’improvisation. C’est la plus belle des écoles de liberté ! Même à l’époque où je dirigeais un orchestre de danse, je me suis toujours entouré de musiciens de jazz, j’ai rencontré les plus grands. J’ai connu Django dans ses dernières années. Martial Solal à ses débuts, Urtreger, Michelot au club Saint-Germain. J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie et ça continue avec des musiciens d’aujourd’hui, Marc Fosset, Georges Arvanitas, Jacky Samson et Richard Portier… – Allez vous rencontrer des musiciens réunionnais ? – Bien sûr ! Je dois prendre contact avec Jacques Tamizian qui a ici une école d’accordéonistes. Et puis Marc Fosset qui connaît bien Olivier Ker Ourio, l’a invité à se joindre à notre concert…Dr.Jazz